Qu'elle était jolie

En écho au Projet 52 de Kobaitchi, voici ma première contribution de l'année, d'autres suivront sans doute en fonction de mon inspiration et des thèmes qu'elle proposera. N'étant pas doué de mes dix doigts, et le fait de m'en faire greffer d'autres n'arrangeant sans doute rien, c'est sous forme de texte que je me lance.

Il n'y a pas que sur les lieux d'un crime qu'il faut éviter de revenir. Les lieux qu'on adorait étant enfant et qu'on a quittés il y a longtemps sont également à bannir. Définitivement.

Alors que la nostalgie me gagnait insidieusement, conséquence d'une fatigue bien visible, elle, je me suis récemment perdu sur un site de cartographie en ligne bien connu, afin de voir comment avait évolué la petite station balnéaire où je passais mes vacances il y a plus d'une vingtaine d'années.

Moi qui m'attendais à une madeleine de Proust apaisante, je me suis retrouvé face à une pilule bien amère, au goût oscillant entre huile de foie de morue et gueule de bois.

J'étais en quête de traces virtuelles de couchers de soleil sur le front de mer, bercés par un vent tiède et des vagues tellement douces qu'elles en caressaient à la fois le corps et l'esprit, de dégradés orangés que le soleil projetait sur l'eau, de cris de mouettes encore éveillées. Je cherchais en vains flash-backs des effluves de barbecue portés par le vent, qu'on pouvait sentir le long des boulevards à peine éclairés, avec leur pavage rouge et blanc, et leurs plaques de rue si caractéristiques. J'espérais retrouver une de ces dunes isolées aujourd'hui rasées par de vils promoteurs, où l'on pouvait s'arrêter un instant, pour prolonger sa soirée, allongé sur le sable doux, entre deux buissons d'oyats, les yeux vers le ciel, à rêver à je ne sais quel destin.

Qu'elle était jolie cette station balnéaire, aujourd'hui bétonnée d'un bout à l'autre. Rares y étaient les cages à lapins qui défigurent aujourd'hui les fronts de mer sur tous les littoraux. Entre les maisons simples et les villas, à l'apparence déjà kitsch à l'époque et qui portaient souvent des noms de fleurs ou d'oiseaux, il y avait toujours un petit chemin menant vers une dune mystérieuse ; il suffisait d'y croire pour que l'aventure surgisse. À leur sommet, on devinait les forêts de pins qui marquaient la séparation avec l'intérieur des terres, puis les premiers champs de blé, où l'on pouvait s'endormir avec, au loin, le ronron des avions publicitaires qui volaient au-dessus des plages. Et à quelques mètres, le chant hypnotique des grillons, qui tentaient de concurrencer leurs cousins méditerranéens. Car les jours de grande chaleur, ce bout de terre septentrional n'avait rien à envier à ses homologues du sud. Le soleil y tapait aussi fort.

Qu'elle était jolie cette époque, où malgré l'enfance qui s'estompait et les premiers nuages qui s'accumulaient dans mon existence, j'étais encore capable de rêver...

Comments

[kobaitchi]

C'est très joli! On s'y croirait.

Dommage qu'elle ne soit plus, elle me donnait bien envie à moi telle qu'elle était autrefois :/



Merci pour ta participation au P52 en tout cas! Ça me fait super plaisir! :D